– Article rédigé et interview réalisée pour Beyeah

Irène Drésel est le maillon qui manque à la techno. Mélodies tantôt sensuelles tantôt sportives, BPM tantôt langoureux tantôt soutenu, elle déjoue les attentes des auditeurs du genre pour les emmener, en toute conscience, dans un monde aux couleurs aussi sucrées que puissantes.

La jeune productrice et artiste plasticienne nous avait déjà conquis sur son EP Rita, elle revient aujourd’hui ravir quelques coeurs supplémentaires en s’armant d’un nouveau deux-titres, Icône. Si ce mot caractérise déjà la place qu’elle pourrait prendre dans le paysage électronique français, il définit aussi l’essence même des deux morceaux qui le composent. Car en effet, Icône et Medusa sont deux morceaux qui fascinent dès la première écoute, et deviennent soudainement essentiels à notre répertoire musical.

Le premier titre évolue dans un registre qui, bien qu’il soit dansant, relève plutôt de la musique mentale. C’est un morceau progressif où chacune des lignes mélodiques vient s’ajouter à la précédente et renforce l’atmosphère aussi suffocante qu’hypnotique du morceau. Cependant, Medusa est tout son contraire. Beaucoup plus calme et plus contemplatif que son prédécesseur, il évolue autour du concept de la langueur et de la douceur, plaçant l’auditeur dans une bulle sonore qui le coupe du capharnaüm qu’est le reste du monde, l’espace de quelques minutes.

Mais Irène Dresel n’en reste pas là. Si son univers musical est unique, son univers visuel l’est également. D’une esthétique sans pareille, soignés jusque dans les détails, ses clips comme ses sessions live ne nous laissent pas sur notre faim. On a écouté et réécouté ses morceaux jusqu’à disséquer une à une chaque seconde qui les composent, et c’est à ce moment que de nombreuses questions ont émergé de notre esprit. Nous avons eu l’occasion d’en poser certaines à l’artiste.

Ce qui surprend quand on t’écoute pour la première fois, c’est que ta musique, c’est de la techno sans être de la techno. La forme est là, c’est indéniable, mais le fond est totalement différent de ce à quoi tout auditeur est habitué. Qu’est-ce qui fait que tu ne produis pas « comme les autres » ? D’où viennent tes inspirations ?

Alors déjà pour répondre de manière un peu « technique » j’ai toujours composé seule et comme personne n’est avec moi lorsque je produis mes morceaux, j’ai du mal à me rendre compte si ma manière de travailler est la même que celle des autres producteurs de techno. Ma méthode à moi est complètement déconstruite, linéaire et instinctive. J’aurais d’ailleurs beaucoup de mal à l’enseigner.

Pour ce qui de ce style musical, mes inspirations viennent d’artistes comme James Holden, Nathan Fake, Stephan Bodzin, Extrawelt, Isolée, mais aussi Chloé et Rone. Pour ce qui est du reste, j’ai toujours baigné dans la musique classique et j’ai un gros penchant pour la musique bangladaise avec des voix de femmes dont le timbre aigu et si particulier me touche beaucoup. J’aime beaucoup le rap aussi, mais je suis assez difficile.

En fait j’aime toutes les musiques qui « tiraillent » et frappent en plein cœur.

Est-ce que toutes tes compositions évoluent dans ce genre musical, ou est- ce que tu t’es cherchée avant de construire cet univers ?

Non dès que je me suis mise à faire du son c’était dans le but de faire de la techno. Mais mes débuts étaient un peu moins groovy, plus de l’ordre de l’electronica. Aujourd’hui c’est nettement plus incisif.

Ton titre Icône a-t-il quelque chose à voir avec la définition propre du mot ? Ou est-ce que le lien avec ce dernier est plutôt conceptuel, voire abstrait ?

Le mot « Icône » fait d’abord référence aux images pieuses ou aux statuettes ouvrant sur le monde de l’au-delà. On regarde une image, on la fixe, pour se connecter par la force de l’esprit avec l’effigie du saint ou du dieu représenté. C’est fou quand on y pense, non ? En ce qui me concerne je ne suis ni dévote ni fanatique de quoi que ce soit, mais j’ai toujours été émue par les rassemblements de gens qui se recueillent et le phénomène d’adoration. J’étais à Bangkok l’hiver dernier, et je garderai longtemps en mémoire l’image de ces thaïlandais qui se prosternent devant Bouddha représenté à peu près tous les cent mètres partout dans la ville. Il y a aussi l’image du Roi accrochée partout. Comme une icône, à sa manière. Il y a une part de kitsch dans tout ce rituel qui me plait. Chez moi j’ai des statuettes de Sainte Rita, de Fatima, de Marie ! Certaines sont fluorescentes dans la nuit et dissimulées dans des bosquets ainsi que sous ma véranda. Au fond je trouve que tout cela apporte beaucoup de charme à un quotidien.

Dans une interview, tu disais au sujet du morceau Medusa que tu l’as nommé en rapport avec le personnage mythologique qu’est Méduse. Tu puises souvent dans des références mythologiques ou spirituelles pour composer ta musique ?

Le nom du morceau Medusa est né suite à la réalisation du clip ce qui a permis d’établir un lien fort entre le morceau, la video, et le titre. Mes ressources sont vastes, je n’ai pas un besoin nécessaire de puiser absolument dans du spirituel mais toutefois je reconnais que la musique techno invite à quelque chose de mental.

Les deux titres de ton dernier single sont d’une nature très ambivalente. Il y a d’un côté Icône, à la fois libérateur et anxiogène, et de l’autre donc Medusa, plutôt contemplatif que relaxant. Qu’est-ce qui t’a fait réunir ces deux morceaux sur un même disque ?

Leur différence, justement. Medusa est un morceau sinueux aux sonorités électro, tandis qu’Icône va droit au but, plus minimal et techno. À eux deux ils sont un bon résumé de la complexité de mon univers tout entier, à la fois doux et frontal avec ce quelque chose qui peut amener à l’étourdissement. Ils se réunissent aussi via leurs significations propres. En effet si Medusa nous rend aveugles, l’Icône, elle, est une image qui nous emmène vers l’imperceptible. Il y a donc toute cette symbolique du passage du visible à l’invisible dans chacun des titres.

Le clip qui accompagne Medusa m’a laissée sans voix. Je me suis surprise à être totalement hypnotisée par les mouvements de la jeune fille, qui semble par ailleurs plus ressembler à un pantin désarticulé qu’à une personne humaine. Pourquoi ce choix artistique ? Comment faire le lien entre un clip si torturé et un morceau aussi doux ?

Déjà merci. C’est drôle, je ne dirais pas que ce morceau est “doux”. Ses sonorités sont à la fois mystiques, envoûtantes, et à mon sens un peu dérangeantes. Le clip qui l’accompagne, réalisé par Jean Garcin et Ola Klebanska, montre en effet une petite fille qui nous retient prisonniers dans sa danse cérémoniale jusqu’à disparaitre dans l’obscurité. C’est une image que j’ai eue dès la composition du titre. J’ai vu quelque chose d’assez noir, nous prenant par la main sans plus nous lâcher.

Récemment, tu as sorti le clip de Fogorne, morceau musclé issu de ton précédent EP Stroboscopique, et qui consiste en la répétition d’une scène relativement simple : une personne manipulant un couteau entre ses mains. Deux questions au sujet de ce clip : tu collabores souvent avec Florence Lucas, d’où est née cette collaboration ? Et pourquoi avoir fait le choix de cette scène répétitive pour illustrer la totalité du morceau (comme tu avais déjà pu le faire pour Guetotrou) ?

Ce n’est pas un clip, mais simplement une animation gif réalisée par Flokim Lucas avec qui j’ai collaboré sur deux de mes clips Lutka et Rita. Ayant découvert son travail sur internet via un clip qu’elle avait fait pour Bot’Ox, je l’ai contactée et nous avons travaillé ensemble. Aujourd’hui on sait à quel point les personnes écoutent de la musique via Youtube. Les morceaux sont en ligne avec en guise d’image de support soit un clip, soit une image fixe. Le Gif me permet de mettre mes morceaux non-clippés en ligne, avec une image visuelle en mouvement continu issue d’une boucle, comme hypnotique. Cependant rien n’est laissé au hasard sur le choix du gif. Fogorne est la contraction de Fog Horn, en anglais corne de brume, ce signal d’alarme utilisé par les navires pour signaler l’abordage. Le son que j’ai utilisé à la dixième seconde du morceau me faisait penser à cette image navale. Sur ce gif on devine un personnage en tenue d’officier de marine faisant tournoyer un couteau sur lui-même. J’aime bien la tension générée par un même geste répété, et ce côté, comme tu dis, stroboscopique.

En parallèle de ton activité de productrice, tu es aussi plasticienne. As-tu jamais pensé à relier les deux activités ? À produire une oeuvre audiovisuelle, par exemple ?

Bien sûr j’y ai pensé, mais pour le moment je n’ai pas le temps de m’y atteler ! La composition et la prépa du live me prennent énormément de temps. J’aime faire les choses bien et je suis perfectionniste… Dans tous les cas, le fait d’être moi-même la directrice artistique du projet dans sa globalité (son, image, scéno, costumes, clips, com, etc.) est une manière de mettre à profit mon background en tant qu’artiste plasticienne.

Qu’en est-il de ton live ? Peux-tu nous en dire plus sur la manière dont il sera accompagné, visuellement parlant ?

Sur scène, la table sur laquelle sont installées mes machines est recouverte de fleurs. Comme un autel. Il y a quelque chose de presque cérémonial. J’avais envie de m’écarter de l’image minimaliste de la techno pour l’aborder de manière beaucoup plus sensuelle et colorée. Il faut savoir que la recherche de plaisir est sans doute la motivation première qui pousse les individus vers la musique techno.

Il y a bel et bien de la sensualité dans la techno, ce qui peut être difficile à comprendre de la part des non-initiés.

Nous sommes trois sur scène. Je suis comme à la proue d’un bateau, avec à bâbord Sizo Del Givry aux percussions, et à à tribord Ola Klebanska à la flûte à bec, un instrument atypique aux sonorités simples et envoûtantes. Elle apparait en milieu de live, comme par enchantement.

La techno s’écoute les yeux fermés. Lorsque je joue sur scène, je vois autant de gens les yeux fermés que les yeux grands ouverts, leur iphone tendu à bout de bras pour enregistrer des images. Certains ferment les yeux pour partir dans une espèce de transe, de rêve. Mon idée est que lorsqu’ils les rouvrent ils ne quittent pas cette zone de rêverie. Parfois le live est accompagné de mapping réalisé par l’agence Blow Factory, ce sera le cas le 2 août lors de la date au Mucem pour l’événement Plan B avec Scratch Massive en première partie.

Enfin, tu sembles entretenir un rapport particulier avec les roses. Que ce soit sur Instagram ou dans au cours de tes lives, c’est souvent que l’on en retrouve. Qu’est-ce qu’elles signifient, pour toi ?

C’est ma fleur préférée depuis toute petite. J’habite à la campagne et chez moi, dans ma maison, dans mon jardin, il y a des roses partout. Je mélange fleurs naturelles et fleurs artificielles. Il y en a sur mon portail, dans ma veranda… La rose est la reine des fleurs, le symbole de l’amour, du romantisme. C’est une fleur qui fut vénérée dès l’Antiquité : les Grecs et les Romains la considéraient comme un cadeau des dieux fait à la terre et aux hommes. Il la cultivaient abondamment, notamment pour les cérémonies nuptiales. J’aime beaucoup la pivoine aussi, mais c’est plus éphémère !